Au chef Owen fils de Cormac Riabach MacCarthy

Dinneen[1] dit que c’est la meilleure des longs poèmes du poète. O’Rathaille utilisait un genre très codifié pour rendre hommage au taoiseach (chef de clan) :

  • Le malheur ressenti, et ce que représentait Owen pour le peuple : 6 strophes
  • La généalogie d’Owen : 5 strophes
  • Ses liens familiaux avec les clans les plus puissants : 11 strophes
  • La victoire des ennemis d’Owen : 8 strophes
  • La nature et les rivières pleurent Owen : 6 strophes
  • Les fées et banshees se lamentent : 7 strophes
  • Dialogue entre le poète et la rivière Fionscoth : 9 strophes
  • Le malheur d’Owen est celui de tout le pays : 8 strophes
  • L’échec d’Owen est dû à la prise de pouvoir des Guillaumites : dernière strophe

La section la plus longue présente en détail le réseau des clans du Munster, piliers du monde des auditeurs auxquels ce poème était destiné. A travers ces éléments traditionnels, O’Rathaille déploie toute sa créativité ; par exemple, il ne se contente pas de lister les rivières en deuil, il entame un dialogue avec l’une d’entre elles.

Le poème est aussi un manifeste politique. Il nomme explicitement les adversaires d’Owen, et souligne que ce sont les ennemis de tous. En effet, le dernier quatrain fait ressortir que l’échec du Carthy ne serait pas possible sans le contexte plus large de prise de pouvoir par les Guillaumites, c’est-à-dire le naufrage de l’ancien ordre gaélique et la nouvelle domination anglaise.

Les quatrains comportent quatre lignes de quatre syllabes accentuées, avec rimes internes et allitérations, et chacune des 244 lignes terminent avec la même rime iambique en /é/-/, sauf les quatre dernières qui forme l’épitaphe.

Au chef Owen fils de Cormac Riabach MacCarthy

Un chagrin et un malheur ont blessé mes sens,

Et m’ont laissé la tristesse tous les jours jusqu’à ma mort,

Ont cassé mon cœur, m’ont donné des larmes sans répit,

Ont laissé mes yeux sans vue, ainsi que mes oreilles sans ouïe.


De ma maison est tombé, sous les nuages,

Un héros vif et doux, le chef des nobles princes ;

Il était le pilier du toit au-dessus de mes enfants,

La source de leur nourriture, de leur force et de leur substance ;


Leur casque d’acier, leur hache et leur armure ;

Leur bouclier de défense contre le hurlement des loups.

Tu étais leur gourdin de menace pour tenir dans une dispute ;

Tu étais leur meule couverte à jamais sans défaut.


C’était toi leur combattant au cœur du danger,

Leur Cúchulainn que l’on appelle pour l’apaisement,

Tu étais leur protection dans la brèche de l’ennemi, avec force,

Bien que tu sois tombé par un coup de Muiris le parjure.


Tu étais leur barque et leur bateau et leur vaisseau prospère,

Leur lion et leur faucon, leur chef et leur champion,

Leur éclat de lumière dans les ténèbres de la montagne,

Et leur seigneur légitime et leur estime à travers l’Erin ;


Leur auguste homme de guerre, aux compagnies fermes,

Vaillant, amical, savant, tranchant,

Héroïque, courageux, fier, plein de dignité,

Majestueux, législateur, fortuné, puissant ;


Aux vraies lois justes, sérieux, fort sans aucun vice,

Calme, gai, aux traits tranquilles,

Hardi, bon vivant, élégant, érudit,

Humain, dévot, prudent, à la sagesse fine ;


Avenant, actif, compétent, fort,

De la valeur des hommes qui régnèrent sur l’Erin,

De la lignée du grand Eoghan, et d’Éber,

Et de Cas fils de Corc, invaincu aux exploits ;


Ainsi qu’Eireamhan des lois, et Aongus,

Son cousin Mogha, et Conn des batailles intenses,

Son fils Art, qui eut pouvoir sur Eilge,

Carbery, et Cas le prince, et Niall Noir.


Fergus vaillant, aux blessures, était son parent,

Et le grand Iughoine, rafale de chagrin,

Callaghan de Cashel qu’ils refoulèrent pendant un temps,

Et Brian par qui tombèrent les enfants de Turgésius[2].


Ses proches cousins comprennent la souche O’Leary,

Seán à l’orgueil furieux et étonnant,

Et Aodha, fils de Conn, invaincu dans chaque action,

Qui mena sa troupe entière avec lui à travers l’océan.


Il est vrai, au regard des annales de l’Erin,

Que tu es le chef des familles généreuses ;

Seigneur de la Maine, de Corran, de la montagne

Des Deux Mamelles jusqu’aux bords du mont Mish.


Noble cousin du magnifique Burke,

Et d’O’Connor qui eut le renom pour son humanité,

Et d’O’Donnell qu’on ne blessa en aucune manière,

Et du célèbre O’Rourke à la cuirasse luisante.


Tu es un cousin proche du fils O’Neill,

Cousin rapproché d’O’Kelly et de son épouse,

Cousin généalogique du Prince Jacques,

Selon ce que l’on chante dans le Psautier des nobles princes.


Cousin de Donal le basané de Beare,

Et du Clan Sweeney peuplé de guerriers,

De Donal le courbé qui ne recula devant aucune lutte,

Et de Donal le vigoureux, chef direct d’Erin.


Cousin de la haute famille O’Reagan,

Cousin de l’homme de Kanturk des marais,

Cousin de Dubh, de la tribu du val boisé,

Et de Mac Finnin qui fut un vrai héros tout seul.


Cousin généreux de Niall des chevaux élancés

Et des neuf otages, qui gouvernait sur l’Erin,

Cousin véhément des anciens O’Brian,

De MacFerris et du seigneur des Decies.


Parent de Fitzmaurice de Belick,

Et du Chevalier des bords de la Shannon aux fines barques,

De MacMaoilmuaidh le fort aux attaques surprises,

Et de Donoghue de Ross, en nourrice avec toi.


Tu es un grand cousin de Roche le doux,

Cousin proche de Barry et de ses parents,

Cousin de Gérald des nobles grecs,

Cousin du héros de Bunratty aux lances claires.


Vrai cousin d’O’Keefe sans aucun défaut,

Cousin victorieux des Rourke brillants ;

Du Callaghan de Cluan, aux nobles traits,

Et de Clan Guaire généreux et charitable.


Cousin de Cúrí le beau, l’héroïque,

Et de MacAuliffe le puissant aux grandes étendues,

De Tadhg le probe, emporté par le torrent,

Et de Tadhg Mac Carthy de la plaine de Lorc Éber.


Tadhg O’Kelly, d’Aughrim le magnifique,

Et Tadhg du Mullach qui gagna le respect des savants ;

Chaque Tadhg qui s’est illustré était ton parent,

Ô cousin de l’héritier de Tadhg, fils de Geoffroy.


Cousin de Courcy le rusé, le terrible,

Et du seigneur de Muskerry à la belle chevelure blonde,

Du seigneur de Glenachruim qui établit sa domination,

Et du seigneur de Corran et de Carbery près de toi.


Quel dommage ! Ta terre est cédée aux pâtres,

Elle leur échoit gratis et sans paiement,

Un quartier retenu sous son coude par Muiris de la ratine,

Malheureux quartier, à Muiris repris par Griffin.


L’origine de ma plainte est sombre et triste,

La cause et la raison de votre jalousie envers lui ;

Après l’écrasement de nos nobles, dignes et accomplis,

Ces maîtres nous nargueront : « il est en danger ! »


George[3] faisait une grande rapine singulière,

Comme Finn MacCool devant les Fianna ;

Muiris fit des lois pour le condamner,

Et Griffin chantonna doucement en attachant les menottes.


Tout ce que les voleurs n’avaient pas détruit,

MacCraith pilla ce qui restait de bétail,

Avec l’or du diable à son service, sans humanité,

Toujours dans le dessein de doubler ses « fees[4] ».


Celui qu’ils avaient l’an dernier mis en position de pouvoir

Est cette année à demander la charité ;

On laissa deux de leur compagnie sans signe de vie,

Le sang vidé de leur cœur et de leur corps.


C’est la perte de Seán, qui ne cédait pas devant les pervers,

Qui mit Owen pour toujours sous les nuages,

En exil, vraiment faible et épuisé,

Et leurs maisons sont broyées et réduites en poussière.


Souvent dans sa forteresse se trouvaient des savants âgés,

Des druides, des lettrés, des bardes et des chroniqueurs,

Des poètes et des clercs, servis avec humanité,

Et les visites constantes du clergé du Christ.


Ô Dieu qui es au Ciel, tu entends les nouvelles,

Ô Roi des puissances, ô Père sacré,

Pourquoi as-tu souffert que ses biens soient donnés aux tyrans,

Ses loyers pour eux, et lui abattu dans le besoin ?


Le saccage fait pleureur Sol intensément,

Luna pleure des ruisseaux de larmes,

Le cruel Borée souffle du nord,

Tant que Muiris est au pouvoir par ici.


À l’exil d’Owen fatigué, désarmé, sans force,

Huit rivières nobles gémirent,

La Maigue et la Laune, affaiblies sans soulagement,

La Caragh, la Slaney et la Clydagh.


De la rivière Kilcree le cri perçant fut long,

Se lamentant sans cesse et pleurant son compagnon,

Les bords de la Lice sont en furie, comme ceux de la Feale,

Tandis que la Galey répand ses larmes, isolément.


La Gaoi est morne et la Súir rugit,

Ainsi que la Shannon de la famille de Lorc aux chevaux fins,

La santé de la Maine est ruinée à cause des nouvelles,

Les rives de la Lee et de la Bride sont affligées.


La Finow et la Flesk ont perdu leurs esprits,

La rivière Targlan sous les nuages, avec l’Erne,

La rivière Dalua et la Cuanach sont tourmentées,

Et la Barrow est en long deuil pour toi.


La Cróinseach n’a pas laissé une larme sans la répandre,

Sous les falaises abondantes en bétail, de l’océan à Beare,

La Roughty est sombre et mugissante,

La rivière des Deux Mamelles et son peuple sont épuisés.


Il n’y avait pas de fée parmi les grandes pierres,

Depuis Dunquin jusqu’au nord de l’Erne,

Depuis Inis Bó jusqu’aux limites de l’Erin,

Qui ne pleura de grosses larmes, avec les autres.


 Muiris jugea que tout était de son ressort légitime ;

À sa venue on entendit le cri des femmes du côté de Torc,

Et les deux rives de la Maine répondirent envieusement,

Et l’on entendit une plainte en haut du mont Mish.


La fée de Ross versa les larmes,

Puis la fée blanche de Blarney, à côté de toi,

La fée de Glen où parlent les oiseaux

Et sept fées sur les Mamelles sans s’arrêter.


Cliona pleura aux nouvelles ;

Una pleura, à Durlas Éile ;

Aoife pleura, dans le manoir de Felim

Ainsi qu’Aibell, la fée de Carriglea.


La Ruachtach, femme fine, pleura douloureusement ;

Áine pleura, dans le palais de Grian ;

Huit huitaines pleurèrent sur un lac ;

Les filles-fées de Corann et de la montagne pleurèrent.


La fée de Dun Guill pleura amèrement ;

Une fée à Tara divague, tourmentée ;

Et encore une fée à Youghal, sans cesse ;

Et une fée à Cappoquin des Decies.


Encore une fée en larmes, envieuse,

À Ballycarbery, fille-fée de ta noble famille ;

Tes nouvelles provoquent à Baslacán des spasmes mortels,

Et l’Ean Fionn est dans les serres de la mort.


Une faiblesse saisit la classe qui parle anglais :

Ils croyaient que Jacques reviendrait parmi nous

Lorsque la roche hurla à cause de tes nouvelles ;

C’était un gémissement du centre de la Pierre de Fál[5].


Après la désolation des forêts et des marais,

Mon cœur fut brûlé, je fus anéanti, tourmenté,

Que cette femme à la belle gorge, de Firies aux princes,

Pleurât sans repos, toute seule ;


Elle cinglait ses mains et déchirait ses cheveux,

Ses yeux en globes rouges sans répit,

Sa belle peau est couverte de plaies,

Et sur sa poitrine le voile de soie est lacéré.


Quand les ruisseaux rugissants s’étaient apprivoisés,

Ainsi que les forêts, les cimes bleues des montagnes et les loups,

Ce fut Fionscoth, qui pleurait éternellement tout seule,

Qui jeta une confusion totale dans mon esprit.


Je demandai la cause et la raison de ses pleurs,

À la femme splendide de Feries aux nobles princes,

Quelle est la mort, l’infamie ou la détresse

Qui ruina ses membres et ses habits ?


Fionscoth me répondit avec envie,

Avec une voix morne d’une force frappante :

Tu connais parfaitement l’authenticité de mes dires,

Et tu sais que le poison coule à flots de mes plaies,


Et la multitude des nobles de Niall Noir,

Des chasseurs et des divins et d’excellents princes cultivés,

Des nobles dames peu maussades, et des personnes âgées,

Sont désormais en manque de nourriture et de vêtements.


Le vrai roi est exilé par malveillance,

Avec prêtres, abbés, évêques et clercs,

Frères pieux, et le clergé aumônier,

Et les nobles de la campagne, tous ensemble.


Je lui racontai sincèrement mes nouvelles :

Qu’Owen était encore sans danger ;

Ses terres, si elles étaient perdues à présent,

Pourraient lui être rendues dans le règne du vrai roi.


Les blessures de Seán lui crient haut et fort ;

Elles jettent les éclairs de bataille et lui font signe,

Toujours elles hurlent à Owen avec violence,

Elles demandent que du sang soit versé en amende.


Orpen aussi lui fit une blessure douloureuse,

Rughraoi et Seán, les fils de la famille Aoghar,

John et Diarmad, qui furent toujours menteurs,

Muiris et cette paire firent sa grande ruine.


Il est triste maintenant de mettre en gaélique,

Ce brouillard qui est tombé durement sur les Gaëls,

Et sur chaque classe de la descendance de Milésius,

Combien d’entre eux ont, avec Luther, retourné leurs vêtements ?


Comme le bon clergé est parti à travers l’eau là-bas,

Comme Jacques est mis en exil à jamais,

Et les rescapés de sa troupe sont mis sous le joug,

Et Owen est réduit à la misère, ô ma blessure profonde !


J’implore Jésus Christ de m’écouter :

Que soit dispersé ce brouillard sur Owen depuis peu,

Qu’on lui donne d’un seul coup la restitution de ses biens,

Depuis Suidhe Finn jusqu’aux bords du mont Mish.


Les eaux de la Maine, de la Laune, de la Lee et de la Clydagh,

Se joignent aux cours qui partent du lac des chutes de Torc,

La Finow, la Flesk, et le ruisseau de Maor gémissent,

À l’affiliation de Muiris à la famille Aoghar.


La tombée des chefs vaillants, véritables héros,

Surpassés en nombre par d’ennemis puissants aux faits prodigieux ;

Ce sont les lois des hommes qui renversèrent le Roi Jacques,

Qui ont fait entrer Muiris sans droits avec la famille Aoghar.


La demeure de mes aïeux depuis un certain temps à Iveleary,

Et la chute des hommes dans le combat pour le Roi Jacques,

Muiris qui est entré avec la famille Aoghar :

Voilà comment je caresse mon ennemi très puissant !


L’envoi

Comme s’évanouit chaque tort avec le profit qui court derrière lui

On connaît chaque fruit par la graine, la feuille et la fleur,

Ce n’est personne ni huitaine, mais la perpétuelle guerre des rois,

Qui mit dans la main de Muiris la clé du moulin du Pont.


[1] Dánta Aodhagáin Uí Rathaille, Patrick Dinneen, ITS, Londres, 1911, p 208

[2] Les enfants de Turgésius sont les Danois qui pillaient l’Irlande à partir de la fin du 8e siècle

[3] Possiblement un des Eagar (Aoghar) qui avait repris la ferme confisquée

[4] En anglais : honoraires, redevances

[5] Pierre mythique qui crie pour le roi d’Irlande