C’est une élégie pour John, frère de Nicolas Browne, un des mécènes du poète. Défense est le premier qualificatif du défunt (ligne 6), et O’Rathaille insiste sur ce devoir des puissants : garde, protection, bouclier protecteur, casque dur, guerrier, tour fortifiée, arme, boucliers qui couvraient le peuple.
Les thèmes habituels s’y trouvent : la peine aux nouvelles de la mort, la détresse de la nature, les qualités du défunt, la prière à Dieu et le discours à la stèle. O’Rathaille met en exergue la parenté du défunt avec toutes les grandes familles de la région. Il évoque de façon émouvante la tristesse de la famille, et consacre trois strophes à la description des ennemis de la famille.
La métrique est soignée, avec une grande économie de syllabes. Le système métrique de la première strophe est très rigoureux :
/á/ – /a/ – /a/ – /ó/ –
/á/ – /a/ – /a/ – /ó/ –
/á/ – /a/ – /a/ – /ó/ –
/á/ – /a/ – /a/ – /ó/ –
La famille Browne était bien arrivée d’Angleterre pour participer à la confiscation des terres au 16e siècle, mais elle s’était ensuite intégrée à la société gaélique, et avait adopté la langue et les coutumes. Catholique et jacobite, elle s’était liée par mariages successifs aux principales familles gaéliques, y compris les vieilles familles normandes arrivées aux 12e siècle. Dans la 18e strophe, le poète loue les Normands pour leur résistance aux Saxons, parmi lesquels on pourrait compter les Browne, qui avaient exproprié les clans irlandais (notamment les Carthy et les Donoghue). Dans l’épitaphe, il est rappelé que la mère du défunt était un Carthy. Tous ces mélanges et origines ne troublent pas O’Rathaille ; dans ses différents poèmes, il défend tantôt jus sanguinis (droit du sang), tantôt jus soli (droit du sol). Ce qui lui importe par-dessus tout, c’est le respect des traditions gaéliques et le soutien aux lettrés, ainsi que la religion et le jacobinisme.
La grande confiscation des terres qui ont suivi la défaite du roi Jacques II avait mis à plat l’ancien ordre. O’Rathaille place son espoir dans le dicton Hibernia hibernescit (l’Irlande rend tout irlandais) : les nouveaux arrivants s’intégreront à leur tour, pour devenir « plus irlandais que les Irlandais eux-mêmes ».
La mort de Seán Brown
À cette nouvelle, l’œil répand ses larmes,
Voici pourquoi se courbent les arbres et les collines saillantes,
De cette peine les grands royaumes frissonnent —
Seán fils de Val moisit dans la tombe.
Ô Mort, tu as attiré vers toi notre flambeau,
La défense de notre blé, de nos domiciles et de nos frontières,
La garde de nos maisons, de nos femmes et de notre bétail,
Notre protection contre les lames tranchantes des brigands.
Notre bouclier protecteur, notre roi et notre prince prospère,
Notre casque dur et résistant pour le combat,
Notre soleil en hiver, notre lumière et notre guide,
Notre guerrier dirigeant, notre éclat, notre gloire.
Notre tour fortifiée devant l’ennemi, notre vaillance,
Notre esprit, notre vue, notre puissance, notre grande affection,
Notre plaisir et notre désir, notre bonne mine et notre délice,
Notre bateau, notre barque, notre bonté et notre vivacité.
Notre Oscar fort, notre éloquence, notre parole,
Notre Phénix des sommets, notre chevalier et notre justice,
Notre arme quand nous rencontrons l’ost qui nous surpasse en nombre,
Notre César courageux, notre étoile directrice.
Hélas ! le pays est ravagé par ta perte,
Et le peuple est sans seigneur, à part Dieu des Gloires,
Nos forêts sont détruites, pour toujours et avec violence,
Et du Leinster on vient brailler à nos portes.
Magonihy est misérable sans époux,
Killarney est triste et éplorée
Les deux rives de la Maine sont aux étrangers sans bornes,
Et par ta perte, Sliabh Luachra est en péril.
La mer courut au-delà de sa laisse
Et Lac Gur inonda ses marécages,
Et la région trembla au rugissement de Ross,
Peu de temps avant sa mort.
Des étoiles sont tombées du ciel sur Eoghanacht,
Puis sur Phœbus est venue une éclipse noire
La lune et l’air étaient douloureux
Et le lac Leine mugissait péniblement.
La rivière Lee le pleurait, et non sans raison,
Tout comme Dunboy aux champions puissants,
Dun Deaghda était morne, oppressé et éploré,
Et Dun Aonfhir était meurtri et triste.
Ce danger sur Thomond m’a affaibli,
Et ces afflictions sur Cluan, pays des nouvelles naissances ;
Tribulations et morosité suivent l’annonce de sa perte,
Et chacun affirme être parent des ancêtres du disparu.
À Bunratty la grande lamentation est arrivée
À Bun Roghair l’oppression des cris est étouffante,
À la Colline d’Áine une grande plainte s’est élevée
Et la Colline de Brandon est épuisée, en larmes.
Ce n’est pas ces pleurs-là qui m’ont rendu malade,
Mais les pleurs de la beauté que tu avais pris pour femme,
Les pleurs de la radieuse que dans ta jeunesse tu épousas,
Du sang du duc d’Ormond, de sa famille et de sa parenté.
La lamentation de Brown le serviable, le vaillant,
Qui est à Londres sous la brutale contrainte des troupes ;
La lamentation de ses enfants — ils sont tous tristes,
Et la sévère lamentation de Máible éplorée, tourmentée.
La lamentation de la famille nourricière de ton enfance,
Du lignage des rois qui étaient puissants et vaillants,
Des champions héroïques dans le tracas du combat,
De la famille de Cian, qui régna sur deux provinces.
Ses frères de lait furent de grands princes nobles,
Les O’Leary, qui ont épousé l’Irlande,
Et les tribus de la principale lignée d’Eoghan,
Maîtres héréditaires de Sliabh et de Tochar.
Ses parents sont en grand nombre, il serait fastidieux de les énumérer,
De la belle race d’Éibhir, de Niall et d’Eoghan,
Et il n’y avait pas un des rois de Fódla
Sans parenté irréfutable par deux fois avec lui ;
Sa parenté compte autant de Normands, virils et pleins de force :
Leurs champions, leurs princes, leurs nobles et leurs guerriers
Ne cédaient pas aux lois des Saxons sans donner combat ;
Exilés à travers la mer, par la force, leur sang doré est éparpillé.
Le puissant comte de Kildare, festoyeur, aux vastes fiefs,
Le comte de Dingle, Barry et Roche,
Le comte de Talla qui était un soutien dans la lutte,
Le comte de Cahir, et les princes de Dunboyne,
De Courcy qui était premier dans la Conquête,
Le seigneur de Kilkenny, et le Chevalier très aimé,
Le seigneur de Lixnaw, Fitzmaurice et sa famille,
Et le seigneur d’Inishbofin des mélodies — tous étaient ses parents.
C’est une cause d’orgueil blessé, de troubles, de pleurs et de chagrin,
Un redoublement de dégâts et de mal sans limites,
Une augmentation sévère de l’oppression dans la province,
Que ce soit Asgill qui encaisse les loyers de vos terres.
La deuxième peine qui tourmente la province
C’est Griffin et Tadhg en autorité avec arrogance ;
Par ceux-là nos grands nobles furent chassés
De leurs terres qu’ils tenaient de droit et de justice.
Tes forêts sont délabrées par le pillage destructeur
De la malice de Tadhg, qui brûle comme un charbon noir ;
Sans doute, elles sont à lui de la cime au pied
Depuis le jour où sont partis les boucliers qui couvraient le peuple.
Cela lasse le cœur du pays que tu sois anéanti,
Ô branche de la souche des héros exaltés,
Tu étais notre abri contre le vent de l’océan
Depuis que le vrai roi fut banni par des bandes violentes.
Tu étais gentil avec les faibles ou très malades,
Tu étais rigide envers les rigides qui n’avaient pas raison,
Ce n’était pas toi le cupide, le tordu, le morose, le vaniteux,
Mais tu étais un seigneur qui réfléchissait à l’amélioration de chaque modèle.
J’implore Dieu avec véhémence de t’accompagner,
L’Esprit saint dans sa force et le Fils divin,
Les vierges et les apôtres et les anges dans leur multitude
De t’accompagner jusqu’au royaume de gloire.
L’épitaphe
Sous cette pierre hélas ! gît fermement le Phénix des Gaëls,
Un chevalier célèbre, un Cúchulainn, un César robuste,
Un chef à la douce figure calme, gaie et gracieuse,
Avec les veines nobles d’un Brown et d’une Perle de la Lee.
Le soutien de Munster est abattu sous toi, ô pierre,
Mis dans la terre — c’est une cause de pleurs abondants dans le pays,
Le trésor du clergé, une autorité fine dans la loi,
La tige suave au pied de la souche des rois.
Ô pierre, ta malveillance envers nous sera une honte pour toujours,
Abandonnés sous le joug tu as laissé nos chefs ;
Tu portes la ruine et le tourment d’une femme, ô pierre,
Depuis que Val et Seán gisent dans ton sein.