Le poète au Château Tochar

Ce poème est un éloge à Warner, le nouveau propriétaire du château d’un ancien chef du clan Carthy. Les Anglais arrivés au seizième siècle (ex. Browne), comme les Normands avant eux (ex. Fitzmaurice), s’étaient intégrés dans la société gaélique, à un degré acceptable par le poète, et faisaient partie de l’aristocratie parmi laquelle il cherchait un mécène. Il n’y avait pas de raison que les nouveaux Anglais arrivés après la Guerre des Deux Rois ne fassent pas pareil, et c’est dans cet espoir qu’il loue Warner.

Le poète utilise les mêmes termes que dans ses éloges des chefs traditionnels, comme les Carthy ou les Callaghan. On retrouve le festin ouvert, la chasse, la prière, la musique et la chanson. Dans ce monde bien ordonné, Dieu le créateur donne un prince qui nourrit les familles, le clergé et, naturellement, les poètes.

On peut voir dans ce poème un certain idéal politique d’O’Rathaille, hiérarchique et figé. On l’a qualifié d’élitiste, opportuniste et même snob. Cependant, ses poèmes regorgent d’images de chefs protecteurs et nourriciers du peuple, des abris, des soutiens généreux qui secouraient les pauvres et les malades. S’il était naïf, les économistes qui prônent la théorie du ruissellement encore aujourd’hui le sont aussi. Pour ce qui est du pouvoir performatif de son langage, il n’est pas certain qu’O’Rathaille crût que ses lignes puissent faire naître des pustules. En revanche, il espérait sans doute que ses images exercent une influence politique sur ses auditeurs puissants. Cela aussi est une conviction contemporaine.

Dans cette traduction, reproduite en entier dans le roman Je n’appellerai pas à l’aide, le nom « Taig des Fortins » est retenu pour indiquer le MacCarthy en question. L’original a cinq quatrains ayant trois lignes de quatre syllabes accentués et une dernière ligne de trois syllabes accentué. La première strophe a le système métrique suivant :

-/U/i/–/U/-/í/

-/U/-/i/–/U/-/í/

-/U/-/í/i/–/U/-/í/

-/è/-/í/ɑ:j/-/U/-

Vendanges, Josseline Ravasse, c.2013

J’ai choisi un tableau naïf de Josseline Ravasse pour illustrer la nostalgie d’un temps révolu. On y retrouve la verticalité, avec le château tout en haut, flanqué par l’église, et les paysans tout en bas, dans une relation heureuse avec la nature, bien structurée et bien clôturée.

Le poète au Château Tochar

J’ai parcouru à pied la douce province de Munster,

Et du coin de Derry jusqu’à Dunaree,

Malgré mes joies d’antan, mon chagrin ne s’est pas dissipé

Jusqu’à tant que je visse le château de Taig des Fortins.


Je m’imaginais — par l’esprit et encore plus dans mon cœur —

Que celui que l’on avait tué était encore vivant,

Car la jeunesse était en fête avec viande et vin

Et l’on buvait du punch et du cognac ;


Il y avait de la viande sur broches, des oiseaux de la marée,

De la musique et des chansons, et des boissons englouties,

Du rôti savoureux, et des rayons de miel sans tache,

Des meutes de chiens de chasse avec leurs aboiements ;


Une foule arrivait et une foule partait,

Et une foule qui récitait pour nous agréablement ;

Une foule sur les dalles fraîches en train de prier

Faisait fondre le Ciel humblement ;


Alors quelqu’un dans la cour m’a mis dans le secret,

Que le puissant Warner, gracieux, pur et gai

Vivait maintenant dans la belle demeure, vieille et célèbre,

Un prince sans lésine pour les voyageurs.


C’est Dieu qui créa le monde entier,

Et il a donné un généreux à la place du généreux défunt,

Pour gouverner les familles, le clergé, les poètes,

Un véritable héros au grand cœur.