Les Blessures de la Terre de Fódla

Fódla est un des nombreux noms poétiques de l’Irlande, comme Banba (ligne 12) et Ériú (trois déesses sœurs). À la deuxième strophe, on retrouve la fréquente personnification de l’Irlande en qualité d’épouse du roi d’Irlande, et sa non moins fréquente image d’elle réduite en prostitution par les envahisseurs anglais.

La cinquième strophe ouvre plusieurs pistes d’analyse. Sur le plan psychologique, les peuples opprimés ont tendance à intégrer la notion de leur propre infériorité : ici on pourrait lire « nous méritons bien cette oppression à cause de nos faiblesses. » Connaissant la vision hiérarchique d’O’Rathaille, on peut aussi y voir un étai de sa foi dans une aristocratie forte — puisque les chefs traditionnels sont vaincus, nous sommes opprimés, donc il faut faire revenir l’aristocratie pour remettre l’ordre et regagner la liberté. Mais on peut aussi y voir la prémisse de la politique de l’Église Catholique cinquante ans plus tard : acceptons notre servitude et nos maîtres nous donneront la liberté de conscience ; en effet, à partir du milieu du dix-huitième siècle, un mouvement de loyalisme à la couronne britannique se développa dans l’épiscopat à la suite de promesses d’une émancipation catholique.

Bien que la plupart des manuscrits ne donnent que les six premières strophes, le père Dinneen a inclus un septième quatrain dans son édition de 1911, que nous donnons ici. Cependant, nous estimons que ces dernières lignes affaiblissent l’œuvre, et contredisent le vœu de la dernière ligne c-à-d le retour des chefs gaéliques.

Les Blessures de la Terre de Fódla

Les blessures de la terre de Fódla me remplissent de lassitude amère,

La terre est enténébrée, oppressée, et les siens atteints dans leur chair,

Les arbres les plus puissants qui les abritaient

Ont les branches coupées et les racines flétries, desséchées.


Bien que longtemps, ô digne Erin aux manières raffinées,

Une tendre nourrice tu étais, généreuse et dotée de la vraie connaissance,

Tu dois désormais faire la courtisane pour chaque cortège de larbins décrépits,

Et chaque pillard étranger aura vidé la goutte de ton sein.


Le comble de ma peine, vois comme il fait couler les larmes,

Est que tous les vrais rois souverains du continent d’Europe,

Jouissent à vie et en paix de leurs propres terres

Sauf Banba l’affligée, sans époux bien qu’elle soit mariée.


Nous avons perdu la lignée de Niall et la descendance d’Eoghan,

Et les héros courageux, champions du royaume de Boru ;

Du sang généreux de Carthy, hélas, il n’en reste guère parmi nous

Ni des chefs gaéliques, prodigieux par leurs actions d’éclat.


Il est certain que toutes les violences injustes,

Les mesquineries et parjures, les tromperies et violations de parole,

Le manque de solidarité et les massacres fratricides,

Ont attiré sur l’Irlande la fureur du Roi Puissant.


Maintenant que nous avons perdu l’Irlande, et avons subi d’innombrables iniquités,

Et avons vu tomber nos guerriers courageux, forts et sans défaillance

– Par le Grand Fils de Dieu et par la puissance de la Trinité,

Que triomphent dans les pas de ceux-là, ceux qui demeurent encore avec nous !


Les Gaëls ont perdu leurs mœurs gracieuses et affables,

Leur charité, leur générosité, leur savoir-vivre et leur harmonie ;

Des verrats sauvages et pervers nous ont réduits en oppression sévère ;

Je demande au Fils Unique de Dieu de porter secours aux Gaëls.