La reine Anne (règne de 1702 à 1714) poursuivait l’oppression des catholiques irlandais, et plusieurs de ses lois (1704 et 1709 notamment) renforçaient les Lois Pénales promulguées par Guillaume III après la défaite de Jacques II en 1689. Les premières lois visaient à réprimer le jacobitisme en Irlande et en Écosse, dans un contexte d’invasions possibles par la France ou par l’Espagne. Mais la législation devint spécifiquement anticatholique et privait les « papistes » de leurs droits civils. Le Parlement irlandais, exclusivement protestant, renforça cette législation en aggravant considérablement la condition des catholiques.
Initialement, l’objectif des Lois Pénales était de réduire les Irlandais à des non-personnes : ils ne pouvaient pratiquer leur religion, éduquer leurs enfants, léguer, posséder une valeur, conclure un bail long, ni même faire de la musique ou chanter. Sous Anne, tout était fait pour obliger les catholiques à se conformer à la religion anglicane. Un exemple très connu : un enfant qui se conformait héritait l’ensemble des biens de sa famille, et pouvait même exproprier celle-ci. Autre exemple peu connu : si un protestant découvrait qu’un catholique faisait un profit au moins égal au tiers de la valeur locative de sa ferme, ce protestant pouvait immédiatement s’approprier cette ferme et l’acquérir (clause VI, loi du 4 mars 1704).
Ceux qui résistaient étaient vus comme des héros par les catholiques, et ils se retrouvaient soit en prison, en cavale ou en exil. C’est le cas de Donogh O’Hickey, qui protestait contre une loi d’Anne obligeant les catholiques à témoigner contre quiconque aurait enfreint les Lois Pénales. Ces Lois rendaient facile aux aventuriers, escrocs et crapules d’acquérir des terres catholiques, et c’est ce qui était arrivé à O’Hickey. Cependant, il avait le cran de vouloir porter son cas devant la Cour à Londres, dans l’espoir qu’il y résidât une bribe de justice équitable, qui avait disparu des tribunaux de Dublin.
Ici, je ne donne que la première partie du poème. O’Rathaille avait aussi rajouté la généalogie de Donogh O’Hickey en ligne directe jusqu’aux mythiques fondateurs milésiens des Gaëls, puis trois courts quatrains pour l’encourager dans ses démarches. Toutes ces lignes sont imprégnées de l’idée de récompense divine, puisque la question essentielle, pour le résistant comme pour l’oppresseur, était de se conformer ou non. La deuxième ligne rappelle l’ancien ordre gaélique, où les métiers comme la médecine, le droit ou la poésie étaient pratiqués par des familles spécifiques.
Schéma métrique :
/é/ – /o/ – /i/ /o/ – – /I/ – /é/
– /é/ /O/ – – /o/ – – /o/ – – /I/ – /é/
/é/ – – /U/ – /o/ – – /I/ – /I/ – /é/
/é/ – /o/ – /o/ – /U/ /I/ – – /é/
Remarquez l’assonance et les rimes internes :
Pour Donogh O’Hickey
Un homme raffiné, tranquille, sage, sérieux, de vraie grâce, noble,
De la famille qui délivrait chaque malade des griffes de sévères douleurs ;
Un être qui ressemble à Salomon quant aux lois du royaume de Dieu,
Pur et vigoureux, Donogh O’Hickey est celui-là.
L’origine de cet homme est la lignée de Brian sans corruption ;
C’est un auteur poli, ingénieux, raisonnable, pudique ;
Il est du sang des princes qui ne manquaient pas de servir les poètes,
C’est une tour, descendue de Cas qui ne reculait jamais, même chenu et croulant.
Croulant, puisqu’il est vrai que nous nous allongerons tous pour mourir,
Amour de mon cœur, à toi j’écris ma parole élaborée :
N’opprime personne par la loi, pour une expression sans valeur ;
La main sur le cœur : ta récompense ira au-delà de tout ce que tu connais.
Tu l’obtiendras, comme je le pense, du Roi des grâces,
Parce que tu n’as pas fait le serment de loyauté aux haut placés,
Il viendra un grand nombre de familles qui annonceront sans cesse,
Que tu étais fidèle et toujours héroïque face au danger.
Donogh est raffiné pour cent, tendre et charmant,
Un appui pour le clergé et pour les poètes polis de la plaine de Corc,
Un professeur pour des rois, en intelligence et en douce amitié,
Le puissant honneur des abattus et un homme du vrai sang exalté.