Quand j’ai déménagé à Duibne

Vague, Valérie Dissaux-Dujardin, 2023

Voici la célèbre plainte d’O’Rathaille, dont le père possédait la moitié du townland de Scrahanaveal, et qui est à présent réduit à la misère d’un taudis sur la plage. Je ne reviendrai pas ici sur le lent appauvrissement du poète, que j’ai décrit dans mon roman historique Je n’appellerai pas à l’aide.

C’est un petit poème personnel, écrit en colère et sans le respect habituel qu’avait Egan pour les vagues et les manifestations bruyantes de la côte. Sa colère dévoile son chagrin de la disparition des chefs irlandais, et son espoir qu’une aide française ou espagnole ramène ces mécènes traditionnels. Quel que soit le temps que prit le poète à la composer, la version qu’il rédigea est construite de façon très précise sur le plan métrique. Voyez ci-dessous le schéma rythmique de la première strophe, avec quelques menues variations de prononciation :

– /a/ – – /I/ – /I/ – – /U/ – /ao/

– /a/- – /I/ /I/ – – /U/ – /ao/

– /a/ – – /I/ /I/ – – /U/ – – /ao/

– /a/ – – /I/ /I/ – – /U/ – /ao/

Voici un enregistrement des quatre première lignes :

Quand j’ai déménagé à Duibne, près de Tonn Tóime, dans le Kerry

Qu’elle est longue, une nuit entièrement trempée, sans sommeil, sans ronflement,

Sans bêtes, sans biens, ni moutons, ni vaches cornues !

La tempête sur les vagues près de moi m’a troublé la tête,

Ma jeunesse ne m’a pas habitué aux bigorneaux et pouces-pieds !


S’il vivait encore, le roi protecteur des rives de la Laune,

Et la troupe de soldats qui l’accompagnait, qui prendraient pitié de mon besoin,

S’il régnait sur le pays doux, abrité, arrondi et abondant en ports,

Ma famille ne resterait pas indigente au pays de Duibne !


Le Carthy vigoureux et féroce, qui ne s’abaissait pas à la duperie,

Et le Carthy Lee, hélas, tous deux languissent en servage sans secours,

Le Carthy roi de Kanturk est dans la tombe avec sa famille,

Et une fatigue me perce le cœur depuis que l’on ne parle plus de lui.


Mon cœur s’est desséché dans mes os, mes humeurs sont contrariées ;

Ces héros, que l’on n’a jamais trouvés mesquins, ces héritiers des terres

De Cashel jusqu’au Rocher de Clíona et au-delà jusqu’à Thomond —

Leurs villes et leurs richesses sont pillées par les hordes étrangères.


Ô vague là-bas, tu hurles ton strident cri de douleur

Si fort que mon entendement est usé par ta clameur ;

Si une aide venait encore à la douce Irlande,

Ton grondement discordant, je te le coincerais au fond de ta gorge.