Sur la mort de Gerald, Fils du Chevalier de Glin

Extrait du Mariage de Strongbow (1854) par Daniel Maclise

Une tradition poétique attribue une origine grecque à la famille Fitzgerald, des Normands arrivés en Irlande lors de la conquête anglo-normande du douzième siècle. Plusieurs membres de cette dynastie, que l’on appelait Geraldine, se sont distingués au cours de l’histoire, ce qui peut expliquer la fascination des poètes. Par exemple, Gearóid Mór (1456 – 1513), comte de Kildare et représentant du roi en Irlande, qui s’était d’abord opposé à Henry VIII avant de se rallier à lui et devenir le « roi sans sacre de l’Irlande ». Son fils, Thomas le soyeux (1513 –1537), a joué un rôle important et spectaculaire dans la résistance des « Vieux Anglais » contre les politiques du roi à Londres.

Ce sont surtout les Fitzgerald du Desmond, dans le Munster, qui sont aimés des bardes de la province. Cette branche de la famille s’est rebellée contre le gouvernement anglais d’Elizabeth qui tentait de prendre le contrôle du Munster, dans le contexte du conflit religieux entre les catholiques et les protestants. Les rébellions des Geraldines Desmond, à partir de 1569 et jusqu’à 1583, ont été écrasées, la dynastie anéantie et le Munster colonisé par la « plantation » de colons anglais sur les terres confisquées.

Le Chevalier de Glin était issu d’une branche mineure des Fitzgerald, installé dans le comté de Limerick. Il représentait encore, dans l’imagination populaire, cette tradition légendaire d’opposition à l’anglicisation de l’île, et donc de sauvegarde de la culture gaélique. Le grand-père du jeune Gerald, sujet du poème, fut membre du Parlement du roi Jacques II en 1689, et cela suffisait pour en faire un héros aux yeux des poètes.

Cette très belle élégie de 184 lignes est construite dans les règles de l’art. Après la strophe d’introduction, où la lumière est altérée, il suit neuf strophes d’éloge, aux anaphores fréquentes, avant de nommer le jeune homme décédé. Sa noblesse et ses qualités sont dénombrées : grâce, vaillance, gaieté. Les éléments et la terre sont perturbés par sa mort : les rivières débordent, le ciel noircit et rougit, les oiseaux se taisent, les plantes ne donnent plus de fruits, la terre ne produit plus rien. Toutes les fées pleurent, ainsi que toutes les femmes de la région. Gérald est comparé aux grands héros des légendes, et l’Irlande elle-même porte le deuil. À sa naissance, il reçut des dons de tous les dieux : Mercure, Mars, Athéna, etc. Le poète déclame longuement son propre chagrin et celui de tout le pays. L’élégie se termine par plusieurs strophes où les qualités excellentes du défunt sont rappelées, puis par l’apostrophe traditionnelle à la pierre tombale, et une prière pour l’âme du jeune homme.

La métrique s’appuie sur des quatrains de quatre syllabes accentuées, et chacune des 176 lignes de la partie principale a la même rime féminine terminale : /é/ -. L’apostrophe à la stèle est composée de deux quatrains de cinq syllabes accentuées, le premier avec la rime masculine terminale /I/ et le second avec la rime féminine terminale en /é/ -.

/é/ – – /a/ – – /a/ – /é/ –

/é/ – /O/ – /O/ – /é/ –

/a/ /I/ – – /I/ – /é/ –

– /U/ – /a/ – /a/ – /é/ –

Écoutez un enregistrement des trois premières strophes :

Sur la mort de Gerald, Fils du Chevalier de Glin

Quel est ce voile sur les sommets d’Erin ?

Comment s’est blessé le visage du soleil ?

Mais c’est qu’un noble roi de la lignée des Grecs,

Est enseveli dans la tombe sans vigueur sans force.


Champion de Munster, guerrier héroïque,

Champion des vallées, fils de la générosité,

Champion de la Shannon, Oscar prodigieux,

Champion des Munsterois d’Inis Féilim.


Phénix au cœur pur, aux membres fins ;

Phénix rapide, à l’adresse la plus accomplie ;

Phénix de la Lithe et de la Liffey, ma tristesse !

Phénix vigoureux, courageux, protecteur.


Perle de la fertile Ville de Martre ;

Perle de Cluana, de visage calme aux beaux traits ;

Perle de la Súir, et gloire des hommes d’Erin ;

Perle de Limerick, et truite vigoureuse de la Feale.


Seigneur pieux, prudent et doué ;

Seigneur législateur savant et avenant ;

Seigneur sur les épées bleues et fines ;

Seigneur-héros de la puissance de Banba.


Épi du blé sans ivraie sans défaut ;

Son cœur est une cuirasse forgée pour sa famille ;

Armure blindée pour tous, sans faille,

Les protégeant de la mélancolie, du trouble et du danger.


Flambeau dirigeant, rose de l’Erin,

Flambeau dirigeant, lumière des nobles princes,

Bougie de cire, soleil du jour clair,

Bougie de renom, sang de la force héroïque.


Vigne charmante, fleur des guerriers ;

Vigne de la race des vrais fils courageux ;

Vigne du sein du Conalach riche en joyaux ;

Vigne de Calann, côte des héros.


Rose qui ne fane pas avant que la mort ne la fane ;

Rose des lions, comète des cieux ;

Rose des plus anciennes dynasties de l’Erin ;

Rose des poètes, et abri des clercs.


Héros rassembleur de tout Conalach sans défaut ;

Héros rassembleur des Vallées, de ses amis blessés et opprimés ;

Héros rassembleur de Daingean, je ne dis pas de mensonge ;

Héros rassembleur, défenseur avec ses troupes.


Gérald, fils de Thomas, favori des femmes ;

Source abondante d’une mer de coups ;

C’est un roi propre à régner sur trois royaumes qui vient de mourir ;

Atropos a cassé le fil de sa vie !


Hélas, mes larmes, mes mille blessures profondes !

Intense passion, ma peine pour celui-ci !

Chagrin renouvelé et accompagné de pleurs,

Gerald est sans mouvement, sous des dalles, éteint !


Voici une plante Normande-Gaélique ;

Une tête bouclée qui n’était ni maussade ni obstinée ;

Une tête douce et intelligente pour réconcilier ;

Une tête que personne n’a vue malheureuse.


Ses yeux étaient aussi bleus que le bleu du ciel ;

Sa langue était douce et gracieuse en expression ;

Ses dents étaient fines, bien formées ;

Et ses sourcils fins, droits et minces.


Ses mains armées étaient difficiles à subjuguer ;

Des mains d’exploits, des puits d’humanité ;

Il était haut comme un lion dans un duel héroïque ;

Son cœur était grand, et sa voix était claire et forte.


Parce qu’il est allé à la mort brusquement

Les quatre éléments ont hurlé ensemble,

Des averses de sang sont tombées aigrement,

Et les fées de chaque région sont tourmentées.


À Kenry, sa fidèle terre douce,

Cìobán la belle répand des larmes ;

Una, Aoife, Cliona et Deirdre aussi ;

Et à Sí Beibh, Maeve pleure intensément.


Une pluie torrentielle est tombée des cieux à Sí Cruachna,

À Sí Bainne, près de la Flesk et sur la Clydagh ;

À Sí Turc, près des rives de la Laune ;

À Sí Beibh aux tertres antiques.


Une femme sur le Claonglas reconnut son droit ;

Les femmes de Cooney sont tourmentées et chagrinées ;

À Timoleague les femmes ont crié,

Et les femmes d’Imokilly et de la Deel, toutes en même temps.


Une femme reconnut son droit et ses parents

À Youghal et au cher pays du clan Roche,

À Tralee et du côté du Lac Erne,

Près de la Casán et à Kinalmeaky.


À l’ouïe du glas et de la mort du Phénix,

La Vague de Cliona fit un bond dangereux,

Lac Gur était sept jours en sang,

Et la Maine, le visage humide, s’est tarie pour deux mois.


La Lithe comprima son noble cours ;

L’aspect du soleil se changea en houille ;

Plus aucun fruit ne pousse sur les chênes et les plants ;

Banba se sépare de son ami et époux.


Les voûtes du ciel se sont rougies ;

Les étoiles sont tombées bas ;

Les oiseaux ont bataillé contre leur forme ;

Les êtres humains ont suffoqué.


Il n’y a pas d’abondance sur les pâturages des collines dénudées ;

Il n’y a pas de gain sur la blanche terre ;

Il n’y a pas de musique dans les bouches des oiseaux ;

La harpe, belle fleur d’Erin, est réduite au silence.


Gerald était l’ami des clercs,

Un vaillant Goll Morna, invaincu en bataille,

Un Cúchulainn qui fit des exploits merveilleux ;

Un Conal Gulban et un Oscar des coups.


Cette tour était l’espoir pour Erin

Qui lui donna l’affection et la tendresse de son sein ;

Qui lui donna plus d’amour qu’à des centaines d’autres,

Qui lui annonça la prospérité, en accord avec son plaisir.


Il n’est pas étonnant qu’elle le fasse ;

Il n’y avait pas de sang royal d’Ir ou d’Eibhir,

Du nord ou du sud, à travers l’Erin,

Qui ne coulait pas en lui de la tête au pied nu.


En entendant Ith dans la région, la contrée pure

Tressaillit et bondit à la fois ;

La jeune Erin jura, tout en vieillissant,

De ne plus jamais s’unir avec un homme.


Nombreux sont les princes aimés par la consort Erin,

Qui ont eu son lit et sa possession et sa douce étreinte,

Qui ont eu son amour et son désir et son union,

Et qui sont tombés en la protégeant, asservis dans une captivité pénible.


Mon tourment vient de son départ précoce à la mort,

Dans le caveau de la ligne de ses ancêtres nobles

Allongé dans une tombe, dans une fosse sous une pierre tumulaire

À côté des héros des Geraldins nobles et purs.


Lorsque ce champion, enfant, fut baptisé,

Vigne royale de Conn des cent batailles,

Mercure lui donna l’amour de son sein,

Et il lui serra du miel dru dans les doigts.


Mars fit de lui un enfant guerrier :

Il lui donna une épée pure affilée et des vêtements,

Un noble casque pour le protéger en détresse

Une cuirasse aussi, et la commande des Fianna ;


Il reçut la raison du dieu de la raison,

Intelligence, mémoire, finesse et bon sens,

Entendement et savoir, vivacité et érudition,

Tranquillité d’esprit, bonté et générosité.


Il reçut de Pan tous les cadeaux possibles :

Une houlette à diriger cinq provinces à la fois,

De la cire en abondance pour guérir son troupeau,

Et des chiens pour le protéger de la malice des loups.


Il reçut la beauté pure et douce de Vénus ;

Vulcain lui donna une forge vorace ;

Neptune lui donna un bateau sur la mer libre,

Et Océanus un vaisseau plein jusqu’aux bords.


Chagrin de mon cœur ! Mes mille tourments !

La vallée du Chevalier verse des larmes !

Sans l’étourneau musical, sans le doux son des oiseaux !

Son bonheur, son bien et son étoile sont tombés !


Sa mort enlève son rire à l’Erin,

Dont la teinte claire devient couleur de jais ;

Les larmes de son nez et de son noble œil sont épuisées,

Et elle abandonne à la fatalité la moelle de ses os !


J’implore, pour ce héros qui cassa des lames,

De la gloire à jamais sans défaut ni imperfection,

En haut, en compagnie du royaume du soleil ;

Lui qui laissa cette noirceur sur le noble château d’Eibhir.


Qui laissa une souillure ineffaçable de la Shannon à Beare,

Qui laissa la couleur noire sur la lumière du soleil,

Qui laissa le pays de Fál tourmenté et éploré,

Depuis Carn au sud jusqu’à Aileach Néide.


Chagrin de mon cœur ! Mes mille tourments !

Abattement et douleur à la fois !

La cause de malheur dans les provinces d’Erin :

Que le fruit de la cime de l’arbre dominant soit complètement détruit.


Un lis parmi les épines, un if sans branches tordues,

L’or des héros et héros des guerriers,

De la famille royale la plus noble d’Erin,

Qui jamais ne prit peur en bataille ni en danger.


Leath Mogha était chargé de jalousie à son égard,

Par sa bonté au-delà des chefs de la famille d’Eibhir,

Comme le sommet des cimes dispersées les unes des autres,

Son renom courut sans taches, tout comme ses vertus.


Le fils parfait du Chevalier de la Shannon aux nobles barques,

Envié par chaque homme, était du sang des nobles princes,

C’était un cœur pas sec, bien cher à tous les êtres,

Un dispensateur régulier aux faibles d’Erin.


Sa mine était vaillante lors de trouble et danger,

Son cœur était beau, comme son corps et son esprit,

Son caractère sans rancune, et son courage de même,

Sans mollesse ni mépris attachés à ces traits.


L’épitaphe

Ô marbre toujours haut, il gît là sous toi,

L’ami des indigents, le noble scion qui était vigoureux,

Le champion fort des bien-aimés, chaste figure du sang noble royal,

Gerald fils de Thomas — ô chagrin sévère — est sous ton pilier !


Sous ton pilier, dans la faiblesse de la mort, gît Gerald le Grec,

Un prince royal savant qui surmonta les princes courroucés

Un sage qui n’est venu à la défaillance qu’à la perte de sa vie

Et que le Christ le reçoive sans retard dans son paradis saint.